Morgane Weidig, Antoniya ArgirovaNotre vie quotidienne, que ce soit dans le domaine public ou privé, devient de plus en plus numérisée. La numérisation est appréhendée par une majorité des responsables politiques comme une voie permettant de minimiser notre empreinte écologique. Or, de plus en plus d’études montrent que l’univers numérique a aussi des conséquences négatives sur l’environnement, qui ne doivent pas être ignorées. Elles sont pourtant constamment sous-estimées en raison de la « miniaturisation » des appareils et l’ « invisibilité » des infrastructures connexes.

Différentes pistes sont en train d’être discutées pour faire face à cette problématique comme par exemple le nouveau Plan sur l’économie circulaire proposé par la Commission européenne. Son récent Green Deal ou « Pacte vert » (un ensemble de mesures qui visent à rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050) aborde également certaines questions liées à la numérisation et à la valorisation des ressources renouvelables pour la fabrication de l’équipement électrique et électronique. Même si les politiques européennes sont en cours d’élaboration, il existe déjà de nombreuses possibilités pour le producteur et le consommateur de réduire l’empreinte environnementale engendrée par la numérisation.

L’impact environnemental de la numérisation

Selon une étude du cabinet français GreenIT publiée en octobre 2019, à l’échelle planétaire, le numérique consomme cinq fois plus de ressources naturelles que l’ensemble des voitures immatriculées en France. Le secteur, du fabricant à l’utilisateur, représente environ 4 % des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial.

Afin d’étudier l’empreinte environnementale du numérique, les chercheurs ont pris en compte différentes variables :

  • Les indicateurs environnementaux (l’épuisement des ressources abiotiques, le réchauffement climatique, la consommation d’eau et l’utilisation de l’énergie primaire)
  • L’univers numérique réparti en trois parties : utilisateurs, réseaux et centres informatiques).
  • La phase du cycle de vie de l’équipement, notamment la production et l’utilisation.
  • L’élimination des équipements, non prise en compte dans l’étude.

D’après les chercheurs, la contribution du numérique mondial à l’empreinte de l’humanité est loin d’être négligeable : la consommation d’énergie primaire représente 4,2%, les gaz à effet de serre 3,8%, la consommation d’eau 0,2% et la consommation d’électricité 5,5%.

Les équipements des utilisateurs (34 milliards dans le monde) comme par exemple les smartphones, les tablettes, les ordinateurs, les télévisions, constituent la principale source d’impact du numérique. Une étude de Shift Project constate une surconsommation de ces produits, qui devrait pourtant être contrastée: en 2018, un Américain possèdait en moyenne 10 appareils numériques alors qu’un Indien ne possédait en moyenne qu’1 appareil. D’après l’organisation, la surconsommation numérique n’est pas un phénomène mondial, il est causé par les pays à hauts revenus.

Au niveau de l’impact global du numérique, les équipements représentent 30 % du bilan énergétique global, 39 % des émissions de gaz à effet de serre, 74 % de la consommation d’eau et 76 % de la contribution à l’épuisement des ressources abiotiques.

Les chercheurs s’attendent à ce qu’entre 2010 et 2025, la taille de l’univers numérique soit multipliée par cinq, ce qui doublera voire triplera l’impact environnemental. La plus forte progression sera celle des émissions de gaz à effet de serre qui a déjà augmenté de 2,2 % en 2010 et augmentera de 5,5 % en 2025.

Les déchets électriques et électroniques (DEE) représentent également un défi lorsqu’ils ne sont pas éliminés de manière correcte, selon l’organisation Eterra. Les DEE ont un impact sur l’air, l’eau et le sol. En cas d’élimination incorrecte, les métaux lourds tels que le baryum, le mercure et le lithium contenus dans l’équipement peuvent être dissous dans le sol et polluer les nappes phréatiques. Cette libération de substances a de graves conséquences pour la population locale qui est dépendante de cette eau souterraine et qui risque dès lors de s’empoisonner. De plus, dans de nombreux cas, des pièces individuelles de l’équipement sont brûlées à l’air libre, ce qui entraîne une forte pollution de l’air.

Un défi aussi pour les droits humains

Outre l’impact sur l’environnement, la protection des droits humains dans le contexte de la numérisation constitue un véritable défi.

La moitié du cobalt utilisé dans le monde pour les batteries de téléphones portables provient de la République Démocratique du Congo, dont 20% sont extraits dans des mines artisanales. Les mineurs doivent travailler dans des conditions dangereuses dans des tunnels souterrains étroits sans équipement de sécurité ou de protection. Des enfants de sept ans travaillent jusqu’à douze heures par jour dans ces tunnels. En 2016, Amnesty International a examiné la responsabilité des grandes entreprises en matière d’équipements électriques. Depuis lors, peu de progrès ont été réalisés. Les distributeurs et les entreprises ne contrôlent pas suffisamment la chaîne d’approvisionnement des matériaux pour leurs produits. Amnesty International recommande aux entreprises actives dans le secteur de production d’appareils électriques et électroniques de faire preuve de vigilance dans la chaîne d’approvisionnement des minéraux et de rendre publiques leur politiques et pratiques en matière de digilence raisonnable, conformément aux normes internationales.

GreenIT souligne que l’accroissement de l’univers numérique augmenterait également les tensions sur les matières premières. Le rôle des minéraux dans le financement des conflits armés, notamment en Asie et en Afrique, va continuer à s’accroître.

 

Les politiques au niveau national et européen

Dans le Plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) proposé par le gouvernement luxembourgeois, la numérisation est envisagée comme une priorité visant à lutter contre les fortes émissions de CO2. Cependant, peu d’attention est portée aux conséquences de la numérisation sur l’environnement. Le PNEC mentionne que des travaux de l’UE en coopération avec le Canada, le Japon et le Corée du Sud, sont en cours sur la création d’une « Sustainable Mining Initiative » pour s’assurer que les matières premières proviennent effectivement de zones minières qui ont des normes élevées en matière de protection du travail.

Fin 2019, la Commission européenne a présenté son Pacte vert dont un des objectifs est de rendre l’économie de l’UE plus durable. La numérisation y joue un rôle important selon la Commission. Par exemple, elle est considérée comme un moyen de mieux suivre la fabrication d’un produit grâce à un passeport électronique. La numérisation devrait également permettre de détecter ou de constater la pollution de l’eau et de l’air. Quant aux DEE, le Pacte vert vise à créer un marché intérieur pour les ressources naturelles secondaires et les sous-produits. La Commission envisage aussi que l’UE cesse d’exporter ses déchets et qu’elle veille à ce que les citoyens disposent de leurs propres installations d’élimination des déchets. Toutefois, il est à noter que la Commission ne prévoit aucune mesure pour réduire la surconsommation numérique.

Plan sur l’économie circulaire de la Commission européenne

Dans le cadre de son Pacte vert, la Commission a proposé le 11 mars dernier un nouveau plan sur l’économie circulaire. Dans ce document, l’accent est mis sur la conception et la production des produits durables, dans le but de garantir que les ressources utilisées restent dans l’économie de l’UE le plus longtemps possible.

Selon le Plan, dans le domaine des équipements électriques et électroniques, des initiatives, permettront de fournir des équipements plus durables et d’améliorer la collecte et le traitement des DEE sans que ces initiatives soient précisées à ce stade.

Les mesures proposées dans le cadre du Plan comprennent des règlementations sur les équipements électroniques, tels que les téléphones mobiles, les tablettes et les ordinateurs portables afin de les rendre réparables, recyclables, réutilisables ou évolutifs.

Ainsi, la Commission veut introduire un droit de réparation qui inclut les logiciels dépassés. En l’occurrence, il doit permettre aux smartphones, tablettes et ordinateurs de rester fonctionnels plus longtemps avant d’être recyclés. Ce qui ne sera pas du goût de tout le monde : Apple s’oppose avec vigueur aux tentatives législatives qui essaient d’instituer un tel droit à la réparation aux États-Unis.

La Commission envisage notamment de mettre en place de nouveaux droits concernant la disponibilité des pièces de rechange ou l’accès aux réparations ainsi qu’au service de mise à niveau. Les chargeurs devraient également être réglementés pour améliorer leur durabilité et le plan présente l’idée d’introduire un chargeur commun pour tous les équipements.

Le système européen actuel pour la reprise et la vente des vieux appareils électriques devrait également être amélioré. Et enfin, la législation de l’UE sur la restriction des substances dangereuses contenues dans les équipements devrait être révisée.

Pistes d’action

De nombreuses possibilités existent pour réduire la pollution de l’univers numérique, tant pour les Etats et les producteurs que pour les consommateurs.

Le cabinet GreenIT propose par exemple de réduire le nombre d’écrans plats en les remplaçant par d’autres dispositifs d’affichage tels que des lunettes de réalité virtuelle ou des vidéos projecteurs LED. Le cabinet français recommande également de réduire le nombre d’objects connectés qui, à la vitesse actuelle, devrait augementer considérablement d’ici 2025. Pour réduire la surconsommation d’appareils, les pouvoirs publics peuvent agir en interdisant par exemple les offres de réengagement contre des équipements offerts.

L’organisation Shift Project plaide quant à elle pour une transition numérique « sobre » qui consiste principalement à acheter des équipements les moins puissants possibles, à les changer le moins souvent possible et à réduire les utilisations inutiles à forte intensité énergétique. Elle invite les entreprises et les gouvernements à adopter la sobriété numérique comme principe d’action.

Shift Project recommande également d’accélérer la prise de conscience des impacts environnementaux du numérique dans les entreprises et les organismes publics, auprès du grand public et de la communauté des chercheurs.

Il est aussi nécessaire d’allonger la durée de vie des équipements pour réduire la fabrication des nouveaux appareils car cette dernière est la principale source d’impact sur l’environnement. Le nouveau plan de l’UE sur une économie circulaire pour les équipements électriques et électroniques pourrait constituer une première étape dans la bonne direction mais il devrait être assorti de mesures pour éviter la surconsommation numérique. Actuellement, il existe déjà des initiatives à petite échelle comme des repair-cafés où les personnes peuvent réparer leurs objets quotidiens, comme des appareils électriques, et ceci sous la supervision d’un personnel spécialisé.

 

Sources:

https://www.amnesty.org/en/latest/news/2018/05/phones-electric-cars-and-human-rights-abuses-5-things-you-need-to-know/

https://www.greenit.fr/wp-content/uploads/2019/10/2019-10-GREENIT-etude_EENM-rapport-accessible.VF_.pdf

https://www.eterra.com.ng/articles/impacts-e-waste-environment/

https://www.repanet.at/projekte-2/reparaturcafes_initiativen/

https://environnement.public.lu/dam-assets/actualites/2020/02/Projet-du-PNEC-traduction-de-courtoisie-.pdf

https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/european-green-deal-communication_en.pdf

https://ec.europa.eu/environment/circular-economy/pdf/new_circular_economy_action_plan.pdf

https://theshiftproject.org/en/article/lean-ict-our-new-report/

https://www.amnesty.de/sites/default/files/2017-11/Amnesty-Bericht-Kongo-November2017.pdf