Alexandre Mortelette – Notre terre brûle et ils regardent ailleurs. C’est ainsi que nous pourrions résumer la pensée des climato-sceptiques, irréductibles réfractaires à l’urgence climatique et à la nécessité d’agir vite pour sauver notre planète. À l’heure où la communauté scientifique est unanime quant à l’existence même du réchauffement global, certains osent encore la remettre en cause et minimisent les causes et les conséquences d’un réchauffement climatique qui, pour la grande majorité du commun des mortels, ne fait plus aucun doute. C’est même l’urgence climatique et les timides actions politiques pour la contrer qui ont vu la jeunesse du monde descendre dans la rue, pourtant souvent critiquée pour son désintérêt envers la politique et sa difficulté à s’engager.
Alors qui sont ces contestataires insoumis qui ne voient pas ou ne veulent pas voir notre terre brûler? Comment est née la controverse sur le réchauffement climatique? Comment parvient-elle à survivre dans un monde cerné par les conséquences directes du dérèglement global? Le climato-scepticisme est-il sciemment utilisé à des fins stratégiques? S’agit-il d’un outil politique plutôt que d’une réelle conviction scientifique? S’agit-il d’une simple invention intéressée?
Le climato-scepticisme prend racine dans les années 90 à l’époque où commence à se développer l’hypothèse d’une responsabilité humaine au réchauffement climatique. En juin 1992, la conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement, autrement appelée «Sommet de la Terre», réunit dans la capitale brésilienne 120 chefs d’État et de gouvernement, 178 pays ainsi que plus de 2400 représentants d’ONG. C’est à l’issue de la conférence que sera adoptée par 154 États et la totalité des membres de la Communauté européenne la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), première tentative onusienne d’analyse et de solutionnement du réchauffement climatique. Pour la première fois, un traité affirme la nécessité de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pour la première fois, il apparait nécessaire d’agir. Pour la première fois aussi, des voix s’élèvent contre l’hypothèse même du réchauffement climatique. Ces voix sont les prémisses de la pensée climato-sceptique. C’est en partie pour faire taire ces voix dissidentes et apporter aux débats une plus forte légitimité scientifique que sera créé le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC), qui a pour mission principale d’évaluer les travaux scientifiques consacrés au changement climatique et d’en faire une synthèse. Il permet d’éclairer les décideurs politiques en proposant «des évaluations régulières du fondement scientifique de l’évolution du climat, des incidences et des risques associés et des possibilités d’adaptation et d’atténuation»1. En 1995, le deuxième rapport d’évaluation du panel d’experts du GIEC2, qui conduira plus tard au protocole de Kyoto (1997), précise que «l’étude des preuves suggère une influence détectable de l’activité humaine sur le climat planétaire». Le rapport, qui formule pour la première fois l’hypothèse anthropique du changement climatique, voit naître un ardent flot de critiques. Il accentue alors l’écho des voix dissidentes et permet leur transposition sur papier avec la création de l’«oregon petition»; pétition exhortant le gouvernement des États-Unis à rejeter le protocole de Kyoto. Signée par plus de 31 000 sceptiques, elle devient le symbole du phénomène naissant qu’est le climato-scepticisme, le fer de lance de la remise en cause de l’existence, des causes et des conséquences du réchauffement climatique. Le phénomène continue à prendre de l’ampleur à mesure que l’urgence climatique s’intensifie, souvent après la parution des rapports d’experts et très souvent avant la tenue de conférences de parties environnementales. Le climato-scepticisme s’invite alors dans le domaine public en intégrant les campagnes électorales, les débats télévisés ou les articles de revues scientifiques. Il trouve écho dans la bouche du scientifique, de l’homme politique ou du citoyen lambda et se fait une place dans la presse écrite, à la télévision ou sur internet.
Qu’il désigne les climato-sceptiques « négationnistes », enclins à nier l’existence même du réchauffement global en imputant les changements climatiques à des simples variations naturelles, ou les climato-sceptiques au sens large du terme qui reconnaissent son existence mais réfutent l’hypothèse de son origine anthropique, le terme «climato-sceptique» est large et profond. Sous l’égide du climato-scepticisme cohabitent plusieurs groupes aux caractéristiques différentes. Ainsi, on recense des acteurs scientifiques, pour la plupart non spécialistes du climat, certains médias, qui ont ouvert leurs portes aux climato-sceptiques en quête de sensationnalisme et de gros-titres attrayants, mais aussi et surtout les «think tanks»3, pour une immense majorité d’orientation conservatrice. La pensée conservatrice d’ailleurs, est intéressante dans ce contexte, puisqu’elle représente la clef de voûte de la pensée sceptique, le véritable fil rouge de la remise en cause de l’existence, des causes et des conséquences du réchauffement climatique.
Une origine et un ancrage politique
En plus d’être estampillé par l’idéologie conservatrice, le climato-scepticisme lui doit tout. C’est en effet sous l’impulsion conservatrice, et notamment l’impulsion conservatrice nord-américaine, que la pensée sceptique a germé. Vous l’aurez sans doute compris, le climato-scepticisme est donc de souche politique. Nourrie par de généreux financements4, souvent issus de puissants groupes pétroliers comme ExxonMobil Corporation, Texaco ou l’institut American Petroleum Institute, qui financent des études intéressées et commanditent des recherches orientées, la pensée sceptique aux États-Unis s’y répand comme une trainée de poudre. En apparence, elle acquiert donc une légitimité scientifique et s’enrichit de méthodes lobbyistes. C’est d’ailleurs ce que démontrent Naomi Oreskes et Erik M. Conway dans leur ouvrage intitulé «Merchants of doubt»5 (2010) en décrivant le rôle des think tanks américains dans la diffusion de la pensée sceptique aux États-Unis. Le travail d’Oreskes, professeur d’histoire des sciences de la terre à l’université de San Diego, et Conway, historien à la NASA, met en lumière les stratégies sceptiques en effectuant un parallèle avec des débats antérieurs comme celui sur le tabagisme ou sur le trou de la couche d’ozone, eux-mêmes sujets à leur époque à de violentes attaques d’un lobbying sceptique et intéressé. Le but de la manœuvre est clair : semer la confusion dans les esprits. Pour ce faire, entretenir le doute, remettre en cause le consensus scientifique établi, promouvoir le statut quo. Et le doute semble profitable au mouvement sceptique puisque qu’il reste fortement ancré dans les esprits. Le dernier sondage en date, celui du YouGov-Cambridge Globalism Project qui a recueilli les réponses de plus de 25 000 personnes dans pas moins de 23 pays, faisait état de 13% de climato-sceptiques aux États-Unis, 7% en France ou encore 6% en Allemagne. Le sondage OpinionWay6 de mars 2019, est plus brutal et il modère à lui seul le prétendu engagement écologique de la jeunesse avec 36% des 18-24 ans qui déclarent ne pas croire au réchauffement climatique alors que la moyenne nationale française, toutes catégories d’âge confondues, est à 23%.
Les chiffres diffèrent mais le constat reste le même. La pensée climato-sceptique, malgré la multiplication des illustrations concrètes du réchauffement global (augmentation vérifiée des températures moyennes, accroissement du nombre de phénomènes climatiques extrêmes, instabilité des saisons, montée du niveau des mers, fonte massive des glaciers, extinction d’espèces animales, etc.) résiste et perdure. Elle résiste tellement bien qu’elle est même parvenue à intégrer, cette fois-ci ouvertement, le domaine politique. De plus en plus d’hommes politiques relayent les théories sceptiques au sein de la sphère politique, alors que certains d’entre eux accèdent même aux fonctions de gouvernance. Donal J. Trump, 45ème président des États-Unis, en est le représentant le plus fringuant. Farouchement opposé au consensus scientifique sur le réchauffement climatique, il le considère même comme un « hoax » (canular), selon ses dires inventé de toute pièce par la Chine pour nuire économiquement à la compétitivité des États-Unis. Dans une série de tweets surréalistes de janvier 2014, il s’interroge sur la véracité du réchauffement climatique en établissant un parallèle simpliste avec les températures en dessous des moyennes de saison. De l’autre côté de l’Atlantique, le parti allemand de l’AfD (Alternative für Deutschland), eurosceptique et nationaliste, positionné à droite voire même très à droite et actuellement 3ème force politique du pays, adopte une position ouvertement climato-sceptique. Le parti nie l’origine anthropique du réchauffement climatique et critique fortement la politique environnementale menée par le gouvernement actuel, allant même jusqu’à réfuter l’aspect polluant du CO2. Début mai, Jair Bolsonaro, fraîchement élu à la tête du Brésil mettait l’une de ses promesses de campagne phares à exécution en annonçant une réduction de 95% du budget alloué à la protection de l’environnement. Malheureusement, force est de constater que les exemples sont nombreux et apportent un dangereux contraste avec la réalité de l’urgence climatique. Le lien entre la pensée climato-sceptique et l’idéologie politique est donc évident. Si on regarde à droite de l’échiquier politique, du côté des populistes de droite, qui ont le vent en poupe en ce moment, le lien est encore plus évident.
En effectuant une modélisation politique de l’agenda climatique des partis populistes de droite européens, comme l’a fait Adelphi dans son étude de février 20197, on parvient à établir un lien entre climato-scepticisme et idéologie populiste de droite. Selon Stella Schaller et Alexander Carius, parmi les 21 partis européens considérés comme partis populistes de droite, 7 d’entre eux nient le consensus scientifique sur le réchauffement climatique. Les autres partis apparaissent comme désengagés et présentent des avis ambigus et timorés sur la question climatique. Le travail empirique de la paire allemande permet le constat suivant : les partis populistes de droite progressent sur la scène européenne depuis 30 ans. En même temps, la pensée climato-sceptique et les programmes environnementaux à tendance réfractaire voire « négationniste » progressent eux aussi. Même s’il est difficile d’établir un parallèle entre les deux phénomènes et de confirmer l’effet de corrélation, leurs relations sont troublantes. Le lien est là, certes, mais sa nature reste encore à déterminer.
Une chose est sûre, l’avancée progressive des idéologies populistes est alarmante pour la cause écologique. Elle retarde la mise en place d’un agenda climatique pourtant impératif. Cet agenda, bien qu’indispensable à l’échelle globale, ne parvient pas à s’établir en dehors des frontières nationales et se heurte à une sorte de chauvinisme égoïste. Des prétextes, fortement conditionnés par une idéologie populiste montante, sont avancés pour retarder l’échéance de l’action. Ainsi, l’agenda écologique abouti est souvent accusé de tous les maux. Une politique environnementale soutenue serait en effet nuisible à l’économie et trop coûteuse, les énergies vertes seraient pour certains, en plus d’être réputées chères, néfastes pour l’environnement. Pire encore, les efforts environnementaux n’en vaudraient pas la peine. Cette éternelle hésitation fait le jeu d’un seul parti. Celui des énergies fossiles qui continue à profiter d’une planète à bout de souffle, à coups de dépenses de lobbying, de diffusion de fake news ou d’implication politique. La principale victime, notre Terre, pourrait contraindre 140 millions de personnes aux migrations climatiques internes8 si rien n’est entrepris.
3 ans et demi après l’historique Accord de Paris sur le climat, approuvé par près de 195 délégations, notre planète brûle encore. L’urgence climatique et la nécessité d’action, bien qu’indéniables, sont encore freinées par une pluie d’obstacles. Alors aujourd’hui, prétendre que le réchauffement climatique est une ineptie, un canular ou l’expression d’une évolution climatique naturelle, est la plus folle des fake news. Avancer que la responsabilité de l’Homme n’est pas engagée et qu’un changement profond, immédiat et drastique de nos habitudes n’est pas nécessaire en est une autre.
Le climato-scepticisme se résume à un simple doute. Un simple doute, qui, nourri par les idéologies politiques et alimenté par la force du lobbying, retarde la nécessaire action climatique et met en péril l’équilibre de l’humanité. Il progresse, comme un ennemi invisible et sert d’outil électoral. Comme la peste, il se répand et semble difficile à guérir. Pourtant, le climato-scepticisme n’est qu’un doute. Il n’est autre qu’un manque d’informations, une ignorance fragile qu’il est facile de briser.
La controverse sur le réchauffement climatique est un mythe, elle n’existe pas. Notre terre brûle, c’est indubitable, alors ne regardez pas ailleurs.
Sources:
1 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/09/AC6_brochure_fr.pdf
2 https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/05/2nd-assessment-en-1.pdf
3 groupe de réflexion ou laboratoire d’idées
4 Des documents recueillis par Greenpeace dans le cadre du « Freedom of Information Act » (loi d’accès à l’information du Congrès des États-Unis) confirment le rôle actif des groupes pétroliers.
5 Oreskes, Naomi et Conway, Eric M.: Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming. London: Bloomsburry Publishing plc 2010.
6 http://www.datapressepremium.com/rmdiff/2008572/Etude-OpinionWay-pour-PrimesEnergie.fr.pdf
7 Adelphi – Study „Convenient truths“– Mapping climate agendas of right-wing populist parties in Europe. Schaller, Stella & Carius, Alexander.
https://www.adelphi.de/en/publication/convenient-truths
8 Banque mondiale – https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2018/03/19/meet-the-human-faces-of-climate-migration