Entretien avec Brenda Akankunda, chargée de programme, Investissement pour le développement durable. Entretien menée par Cédric Reichel –

Le traité sur la charte de l’énergie (TCE) est un accord international datant du milieu des années 1990 qui offre une protection aux investisseurs étrangers dans le domaine de l’énergie et qui favorise la libéralisation progressive du commerce international de l’énergie. Les droits des investisseurs s’appliquent à 53 pays, de l’Europe occidentale au Japon en passant par l’Asie centrale, ainsi qu’à l’UE et à la Communauté européenne de l’énergie atomique. Les dispositions du TCE offrent des protections importantes aux investisseurs dans le secteur de l’énergie et le pouvoir de poursuivre des États devant des tribunaux internationaux d’investissement pour des milliards de dollars, par exemple si un gouvernement décide d’arrêter la construction de nouveaux oléoducs ou gazoducs ou de sortir progressivement le charbon.

Le TCE est actuellement considéré comme l’un des principaux remparts de l’industrie des combustibles fossiles dans le monde, selon les experts, qui estiment que la réforme proposée par la Commission de modernisation continuera à protéger l’exploitation de ces matières. Le TCE est de plus en plus controversé, notamment en raison de son potentiel d’obstruction à la transition des combustibles fossiles néfastes pour le climat vers les énergies renouvelables, mais aussi en raison des efforts continus des secrétariats basés à Bruxelles pour étendre la portée géographique de l’accord à des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, d’Asie et d’Amérique latine, devenant ainsi une sorte d’Organisation mondiale du commerce (OMC) de l’énergie.

 

Qui est Seatini Uganda et pourquoi participez-vous à la campagne #NoECT ?

Le Southern and Eastern Africa Trade Information and Negotiations Institute (SEATINI) Uganda est une organisation non gouvernementale qui œuvre pour la promotion d’un commerce favorable au développement, de politiques fiscales et connexes pour un développement équitable et durable, ainsi que pour l’amélioration des moyens de subsistance en Ouganda et dans la région de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). Grâce à la sensibilisation, aux litiges d’intérêt public, au renforcement des capacités des parties prenantes et à un plaidoyer commun, nous encourageons le dialogue entre les parties prenantes et le gouvernement, et nous promouvons des alternatives indigènes pour améliorer les moyens de subsistance et le développement durable. Seatini Uganda travaille depuis plus de 20 ans sur les politiques liées au commerce, notamment sur les questions de fiscalité et d’investissement, aux niveaux régional, national et mondial. Une partie de notre travail est liée au secteur de l’énergie et, en ce moment, nous travaillons dans le cadre de la campagne #NoECT pour faire en sorte que le TCE ne soit pas étendu aux pays du Sud.

Pouvez-vous nous donner un aperçu du secteur de l’électricité en Ouganda et de ses principaux défis ?

Notre taux d’accès à l’électricité n’est que de 16%. Il s’agit principalement d’énergie hydroélectrique. Mais ce qui est évident, c’est que, surtout au niveau infranational, la plupart des personnes qui ont peu accès à l’électricité utilisent des énergies renouvelables comme l’énergie solaire. C’est donc essentiellement sur cette énergie que la plupart des Ougandais comptent. Mais il y a encore un fossé à combler en ce qui concerne l’accès à l’électricité en Ouganda. L’Ouganda produit beaucoup d’électricité que nous ne pouvons même pas consommer. Pourtant, elle est toujours payée. Il faut simplement la transformer, car l’électricité est là, mais la rendre accessible à l’ensemble de la population du pays est le principal défi que nous devons relever actuellement. C’est donc un domaine qui, s’il est bien exploité, serait bénéfique et durable.

Actuellement, l’un des défis que nous devons relever est celui de l’accès à l’énergie, en particulier à l’électricité. Cela signifie que le pays fera tout ce qu’il faut pour s’assurer qu’il augmente les investissements dans le secteur de l’énergie.

L’Ouganda attend actuellement l’invitation à adhérer au Traité sur la Charte de l’Énergie. Quelle est votre position à ce sujet ?

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’Ouganda cherche à attirer des investissements directs étrangers (IDE), notamment dans le secteur de l’énergie, et cela est également nécessaire. Mais pourquoi l’Ouganda serait-il intéressé par une adhésion au TCE ? Tout d’abord, le secrétariat du TCE a fait de nombreuses promesses, notamment celle d’attirer les investissements étrangers, en particulier dans le secteur de l’énergie, en adhérant au traité. Un pays comme l’Ouganda, dont les taux d’accès à l’électricité sont encore si bas, mourrait pour une telle opportunité.

Mais selon les recherches effectuées, par exemple, dans le rapport de la CNUCED[i] publié récemment pour 2020, il a été noté que cette année-là, la plupart des règlements des différends entre investisseurs et États (RDIE) découlant des accords internationaux d’investissement sont le résultat du TCE, ce qui pose la question de savoir ce que les pays africains risquent en adhérant à ce traité, notamment en ce qui concerne le risque de perdre ces RDIE et de devoir indemniser les autres investisseurs. Les frais juridiques de ces procédures peuvent également peser lourdement sur les budgets publics. Ils s’élèvent en moyenne à 4,9 millions de dollars pour les États poursuivis, mais peuvent aussi être beaucoup plus élevés.

Je pense qu’il est particulièrement important de comprendre qu’à ce jour aucun pays africain n’est membre du TCE, mais des négociations sont en cours depuis plusieurs années déjà et certains pays sont très proches de l’adhésion. Pouvez-vous nous donner plus de détails sur ce processus d’élargissement aux pays africains ?

Tout d’abord, si vous regardez l’esprit dans lequel le traité sur la charte de l’énergie a été créé, les pays européens qui sont à l’avant-garde de ce traité veulent protéger leurs investisseurs, car l’une des principales clauses est de donner la priorité aux droits des investisseurs.

Ces pays ne veulent probablement pas que des investisseurs de leurs pays viennent dans des pays d’Afrique comme l’Ouganda, qui est d’ailleurs l’un des plus riches en matière de ressources énergétiques, sans avoir une loi en place qui protège ces investissements. Idéalement, cela ne devrait pas être une mauvaise idée, mais lorsque vous examinez cette loi par rapport aux autres accords d’investissement, vous vous rendez compte qu’elle présente de nombreuses menaces pour les États membres et qu’elle est, par conséquent, actuellement considérée comme l’accord international d’investissement le plus dangereux.

C’est pourquoi nous disons aujourd’hui que ce traité n’est pas bon pour les pays africains, car si l’on regarde notre niveau de développement, on se rend compte que la plupart des pays sont encore considérés comme des pays à faible développement. Faire partie de ce traité serait donc un grand risque, mais ce n’est pas le seul défi.

Je voudrais faire ici le point sur la situation, en particulier pour les pays de la CAE. Il y a bien évidemment certaines étapes à franchir avant de pouvoir ratifier le traité sur l’énergie dans son pays. La première est de signer la déclaration politique de la Charte internationale de l’énergie[ii], ce qui a été fait par tous les pays d’Afrique de l’Est. La prochaine étape consiste à écrire au secrétariat en exprimant son intérêt pour l’adhésion. C’est ce que l’Ouganda a fait en décembre 2019. Mais le processus a été mis à l’arrêt. C’est donc la raison pour laquelle l’Ouganda n’a pas officiellement reçu en retour une lettre d’acceptation, contrairement à d’autres États partenaires de la CAE comme le Burundi. Le Burundi a atteint la dernière étape, à savoir la ratification nationale, qui serait très dangereuse en raison de certaines clauses. Si un État comme le Burundi décide de ratifier, cela signifie qu’il est lié par le traité pour 20 ans, de sorte que même s’il décidait de s’en retirer, il serait toujours lié par le traité pour les 20 prochaines années, ce qui représente une très grande menace. Et je vais vous donner un exemple : En juillet de cette année, le gouvernement burundais a suspendu tous ses contrats miniers. Si le TCE avait déjà été en place à ce moment-là, le gouvernement burundais aurait couru le risque d’être poursuivi par ces investisseurs en vertu de ce TCE, en particulier par les sociétés minières qui sont actives dans le secteur de l’énergie.

Comment un gouvernement peut-il renoncer à l’extraction de combustibles fossiles selon ses conditions, en tant qu’État souverain ? Parce qu’une fois qu’un Etat signe l’acte, il est dans l’obligation de se conformer aux intérêts des investisseurs. L’État n’aurait donc plus la liberté de mettre en place des politiques dans l’intérêt public. Voilà donc quelques-uns des défis à relever.

Je dois maintenant vous demander, bien sûr, quelles sont les autres options dont disposent des pays comme l’Ouganda pour poursuivre le développement de leur secteur énergétique, autres que l’adhésion au TCE. Quelles sont les alternatives ?

Quelles sont les alternatives autres que l’adhésion au TCE ? Tout d’abord, le TCE est un accord international d’investissement et il n’est pas le seul. Il existe plus d’un millier d’accords internationaux d’investissement selon la CNUCED.

L’exemple du Pakistan, qui attend depuis 2006 d’adhérer au TCE, montre que les investissements directs étrangers (IDE) peuvent toujours être réalisés, même sans le TCE. Dans l’idéal, cela signifie donc que le traité n’est pas une condition pour attirer des investissements étrangers. L’idée est donc que nous pouvons toujours avoir des IDE, mais sans nécessairement compter sur le TCE.

Nous avons examiné la possibilité d’explorer d’autres accords d’investissement, comme les traités bilatéraux d’investissement (TBI). Nous avons également des accords multilatéraux d’investissement, par exemple, au niveau régional. Nous venons de mettre en place la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA) et c’est l’une des zones qui ouvre le commerce et le marché à tous les investisseurs. Nous pensons donc que nous pouvons compter sur eux plutôt que d’espérer que le TCE sera la principale source d’IDE, ce qui n’est finalement pas vrai.

Nous pensons qu’il est préférable de mettre en place de meilleures réformes de la politique d’investissement plutôt que d’adhérer au TCE. Nous entendons par cela l’examen des politiques d’investissement que nous avons ou la mise en place de mécanismes qui attireront les investisseurs sans qu’ils viennent à cause du TCE. Par exemple, en Ouganda, nous proposons généralement des exonérations fiscales aux investisseurs étrangers.

L’ECT n’est pas une sorte d’assurance, mais au contraire, une menace. C’est donc quelque chose que nous ne devrions pas viser.

Et enfin, la question des RDIE. Globalement, les RDIE sont devenus un très grand défi dans tous ces accords commerciaux. Cependant, le rapport le plus récent publié en août par la CNUCED montre que la plupart des RDIE depuis 2020 résultent du TCE.

Il convient donc de se demander combien de pays font actuellement partie du TCE et quelle serait la menace si d’autres pays venaient à le rejoindre. Cela conduira probablement à un plus grand nombre de plaintes RDIE, qui pourraient affecter directement l’économie et le développement du pays. Tout bien considéré, nous pensons donc que notre pays ne devrait pas adhérer à ce traité.

Depuis l’année dernière, un groupe de modernisation travaille sur une réforme du traité. Jusqu’à ce que ce processus soit terminé, le processus d’élargissement est officiellement mis en attente.[iii] Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Nous avons récemment rédigé un rapport avec CEO (Corporate Europe Observatory) et Tni (The Transnational Institute) intitulé « The silent expansion of the ECT ».[iv] Si l’on regarde ce qui est écrit sur le papier, on constate que le TCE est en cours de modernisation et que, par conséquent, les pays n’y adhèrent pas actuellement. Mais la vérité est que le secrétariat du TCE profite de cette occasion pour soutenir les adhésions de ces pays (le Burundi, l’Eswatini et la Mauritanie sont en phase de ratification, l’Ouganda attend l’invitation officielle à adhérer au TCE, le Niger, le Tchad, la Gambie, le Nigéria et le Sénégal font partie des pays qui préparent des rapports d’adhésion), ainsi que des activités de sensibilisation supplémentaires à l’intention des pays d’Afrique occidentale et d’Asie orientale. Ils ont même un budget annuel pour cela.[v] On peut donc se poser la question : Si le processus est définitivement à l’arrêt, alors pourquoi constatons-nous que les démarches se poursuivent ? Il n’est donc pas vrai que le processus d’expansion a été arrêté. Il est toujours en cours, c’est pourquoi nous devons continuer à élever la voix et à former une plus grande coalition pour nous opposer au TCE, car il s’agit d’une très grande menace pour nos pays.[vi]

 

 


Notes:

[i] https://unctad.org/publications

[ii] https://www.energycharter.org/process/international-energy-charter-2015/overview/

[iii] https://www.energychartertreaty.org/modernisation-of-the-treaty/

[iv] https://www.euractiv.com/section/energy/opinion/despite-controversy-the-energy-charter-treaty-is-silently-being-pushed-into-africa/

[v] Pour de plus amples informations sur le budget : https://www.energycharter.org/fileadmin/DocumentsMedia/CCDECS/2020/CCDEC202015.pdf

[vi] Pour de plus amples informations sur la note de synthèse sur le TCE de Seatini Uganda : https://seatiniuganda.org/download/the-energy-charter-treaty-ect-is-a-decoy-east-african-community-eac-countries-should-desist-from-acceding-to-it/