COP30 : l’Amazonie convoque le monde à son chevet

À un mois de la COP30 à Belém, aux portes de l’Amazonie brésilienne, la communauté internationale semble encore loin de saisir l’ampleur de la crise qui touche nos forêts. Celles-ci jouent un rôle vital dans la régulation du climat, abritent une biodiversité inestimable et assurent la subsistance de centaines de millions de personnes. Et pourtant, ces poumons verts continuent d’être sacrifiés au nom d’un développement économique à courte vue. 

L’Amazonie, plus grand massif tropical de la planète, s’étend sur neuf pays sud-américains et concentre à elle seule plus de 10% de la biodiversité mondiale (1). Son écosystème capte chaque année des milliards de tonnes de CO₂, agissant comme un bouclier naturel face aux dérèglements climatiques. Mais aujourd’hui, ce puits de carbone pourrait bien devenir une véritable bombe à retardement. Près de 17% de sa surface a déjà été détruite. À 20 ou 25%, les scientifiques estiment qu’un point de bascule irréversible pourrait être atteint (2). La forêt commencerait alors à s’assécher, perdant sa capacité de régénération et relâchant davantage de carbone qu’elle n’en absorbe.

Ce scénario catastrophe n’est plus une hypothèse abstraite. Il est alimenté au quotidien par des dynamiques bien connues : expansion de l’agriculture industrielle, exploitation illégale du bois, mégaprojets d’infrastructure, ou encore orpaillage illégal. Si ce dernier ravage les forêts et pollue les cours d’eau au mercure, l’élevage bovin et la culture du soja pour l’alimentation animale restent de loin les principales causes de déforestation en Amazonie brésilienne (3). La majorité des zones déboisées y sont converties en pâturages pour l’industrie de la viande, qui génère des milliards tout en dévastant des milieux naturels irremplaçables. Les produits se retrouvent ensuite dans les chaînes d’approvisionnement mondiales, jusqu’aux rayons des supermarchés européens, souvent à notre insu. 

Les peuples autochtones en première ligne

Mais la déforestation ne détruit pas seulement les arbres. Elle met aussi en péril les populations qui vivent de la forêt et la protègent. Les peuples autochtones, dont les territoires affichent les taux de déforestation les plus faibles, sont en première ligne. Menacés, criminalisés et expropriés, ils forment les ultimes remparts face à l’avancée des bulldozers. Protéger l’Amazonie, c’est donc aussi défendre des droits humains fondamentaux et préserver des modes de vie ancrés dans le respect des écosystèmes. En tant qu’organisation environnementale, Greenpeace soutient pleinement la reconnaissance de leur rôle central dans la préservation des forêts, et plaide pour que les financements internationaux leur soient directement accessibles, sans passer par des intermédiaires étatiques ou privés (pour une critique de certains mécanismes de financement, voir l’article).

C’est dans cette perspective que s’inscrit d’ailleurs le Tropical Forest Forever Facility (TFFF), un mécanisme innovant proposé par le gouvernement brésilien. Ce fonds, dont le lancement est prévu durant la COP30, vise à assurer un soutien financier pérenne aux pays forestiers, en conditionnant ce financement à la protection effective des forêts, ainsi qu’à l’implication directe des peuples autochtones et des communautés locales. Contrairement aux marchés de crédits carbone, critiqués pour leur manque de transparence et leur tendance à marchandiser la nature, le TFFF pourrait incarner une alternative crédible, plus juste et respectueuse de la souveraineté des territoires forestiers. Pour Greenpeace, ce type de mécanisme doit être soutenu et reconnu comme un levier essentiel dans les négociations climatiques à venir.

L’Europe entre ambitions et contradictions

En Europe, la campagne de la coalition #Together4Forests, rassemblant plus de 220 ONG, a permis une avancée majeure avec l’adoption du Règlement contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE ; en anglais : EU Regulation on Deforestation-free products, EUDR) en 2023. Fruit d’une large mobilisation citoyenne, cette loi historique interdit l’entrée sur le marché européen de produits issus de chaînes d’approvisionnement liées à la déforestation. Cacao, café, bois, huile de palme, viande bovine… autant de filières dont l’impact environnemental sera désormais scruté. L’objectif est ambitieux : d’ici 2035, huit millions d’hectares de forêts pourraient être préservés, soit l’équivalent de la superficie de l’Autriche (4). Pour que cette victoire se concrétise, encore faut-il que la loi soit appliquée avec rigueur et qu’elle résiste aux pressions exercées par certains lobbies industriels et États membres, le Luxembourg en tête, qui souhaitent retarder ou affaiblir sa mise en œuvre.

Bien qu’il représente un progrès indéniable, le RDUE comporte plusieurs failles préoccupantes. D’abord, l’exclusion du secteur financier, alors que les banques et les milieux financiers européens continuent de soutenir des activités destructrices. Ensuite, l’étroitesse du champ d’application, qui ne couvre pas d’emblée d’autres écosystèmes tout aussi précieux comme les savanes, les zones humides ou les tourbières. Le Cerrado brésilien, par exemple, savane la plus riche en biodiversité au monde, est détruit à un rythme deux fois supérieur à celui de l’Amazonie (5). Il est donc urgent que la première révision du texte, prévue un an après son entrée en vigueur, permette d’élargir cette protection.

Autre paradoxe : l’Union européenne négocie simultanément un accord de libre-échange avec les pays du Mercosur. En cas de ratification, celui-ci faciliterait l’importation à bas coût de produits agricoles sud-américains, au détriment des normes environnementales, sanitaires et des petites exploitations européennes. JBS, géant brésilien de la viande, incarne parfaitement cette contradiction. Impliquée dans des scandales de déforestation, de violations des droits humains, de corruption ou encore de blanchiment de bétail, la multinationale émet des niveaux records de méthane, rivalisant avec ceux des géants pétroliers Shell et ExxonMobil réunis (6). Pourtant, elle pourrait voir ses bénéfices augmenter d’1,2 milliard d’euros d’ici 2040 grâce au traité UE-Mercosur, selon une étude commandée par Greenpeace Pays-Bas

As activists interrupted JBS’s shareholders meeting in São Paulo on April 29, protesters targeted JBS and JBS subsidiary buildings and products in several European countries, including in Luxembourg, where volunteers protested in front of one of JBS’s most precious holdings, J&F Investments Luxembourg S.à.r.l.
Activists hold banners reading « JBS PROFITS, FORESTS BURN « , “JBS COOKS THE CLIMATE” and “JBS: DESTROYING THE AMAZON FOR $$$”.
While JBS has only a handful of employees and no operational facilities in the Grand Duchy, its Luxembourgish holding companies own some of the multinational’s most profitable operations and serve as tax avoidance structures.

 

Malgré sa faible notoriété au Luxembourg, JBS y a ancré une partie de son empire financier via un réseau de sociétés écrans. D’après l’ONG néerlandaise SOMO, ce montage lui aurait permis d’éviter entre 221 et 442 millions de dollars d’impôts entre 2019 et 2022. En avril dernier, Greenpeace a manifesté devant l’une de ces structures pour rappeler que le pays ne doit pas servir de refuge à de telles multinationales climaticides. Une alerte d’autant plus préoccupante que le Fonds de compensation (FDC), fonds public luxembourgeois qui gère l’argent des retraites du secteur privé, a investi près de 5,5 millions d’euros dans JBS en 2024. Ce constat est révélateur de l’écart persistant entre les engagements affichés en matière de durabilité et la réalité des flux financiers.

Belém, l’épreuve de vérité

La COP30, qui se tiendra du 10 au 21 novembre à Belém, s’annonce comme un test de crédibilité pour la communauté internationale. Alors que les promesses antérieures de mettre fin à la déforestation d’ici 2030 se révèlent illusoires, les incendies se multiplient et les records de chaleur se succèdent. La question n’est plus de savoir si nous devons agir pour protéger l’Amazonie et les forêts en général, mais si nous oserons le faire avec l’ambition que l’urgence impose. Il reste un mois. Un mois pour passer des paroles aux actes. Un mois pour que Belém ne devienne pas le tombeau de nos engagements, mais bien le berceau d’une nouvelle ambition collective pour la nature et le climat.

 

Gauthier Hansel, chargé de campagne de Greenpeace Luxembourg

 

 

Notes de fin de pages :

1) https://www.nature.com/articles/s41586-023-06970-0
2) https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.aat2340
3) https://brasil.mapbiomas.org/2024/10/03/mais-de-90-do-desmatamento-da-amazonia-e-para-abertura-de-pastagem/
4) https://globalwitness.org/en/campaigns/forests/saving-a-forest-the-size-of-austria-the-first-ten-years-of-the-eudr/
5) https://ipam.org.br/cerrado-loses-1-1-million-hectares-and-surpasses-amazon-deforestation/
6) https://www.greenpeace.org/aotearoa/publication/report-turning-down-the-heat/

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