Le Venezuela, une dictature?

Cette année, des élections présidentielles importantes auront lieu en Amérique Latine dans quatre des cinq plus grands pays: le Venezuela, le Mexique, la Colombie et le Brésil. Au Venezuela, la date de la tenue de ces élections a été d’abord fixée au 22 avril avant d’être reportée au 20 mai prochain. Des élections parlementaires auront lieu au même moment. Mais la majorité de l’opposition a décidé de ne pas y prendre part, estimant que les conditions de régularité ne seraient pas remplies. Cette opposition semble ainsi sensible aux appels des Etats-Unis qui ont fortement décommandé une participation tout comme le groupe de Lima qui réunit quatorze pays de l’Amérique Latine. Ce qui est d’autant plus surprenant que cette même opposition n’a cessé de réclamer la tenue de telles élections « au plus tôt » depuis plusieurs années. Dans ces conditions, Nicolas Maduro a de bonnes chances de gagner ces élections, même s’il doit faire face à certains concurrents solides. Nonobstant le fait qu’il n’y a jamais eu dans l’histoire du Venezuela un président qui a été si vigoureusement attaqué et diffamé. Chasser Maduro à tout prix de son palais présidentiel a été et reste l’objectif de l’opposition radicale tout comme de ses alliés internationaux, en premier lieu des Etats-Unis.

L’Europe s’est ralliée à cette opposition. En automne dernier, le Parlement européen a décidé à la majorité – et contre les voix des forces de gauche – de décerner le prix Sakharov à « l’opposition démocratique » du Venezuela. A l’occasion de la remise de ce prix, une conférence avait été organisée à Luxembourg avec deux opposants vénézuéliens. Sous l’impulsion du gouvernement conservateur espagnol de Rajoy, l’UE prend part à une campagne internationale contre « la menace d’une dictature et d’une crise humanitaire » au Venezuela. Selon Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde Diplomatique, « une colossale opération de lynchage médiatique mondial » est menée contre Nicolas Maduro. « En mobilisant les principaux médias dominants: depuis CNN et Fox News jusqu’à la BBC de Londres, en plus des principaux médias d’Amérique latine et des Caraïbes, et les plus influents journaux globaux, piliers de l’hégémonie communicationnelle conservatrice, ainsi que les réseaux sociaux ».

Mais comme l’a montré l’invasion de l’Irak, on peut douter que la question de la démocratie soit au centre des préoccupations des Etats-Unis. Le Venezuela dispose des réserves en pétrole les plus grandes au monde mais aussi d’autres ressources naturelles importantes. La production et la commercialisation du pétrole sont aux mains de l’entreprise étatique pétrolière PVDSA. Une grande partie de cette production est exportée aux Etats-Unis, mais entre-temps la Chine est aussi devenue un important client.

Les revenus du Venezuela dépendent à 96 % des recettes des exportations de pétrole. La chute brutale du prix du pétrole a plongé le pays dans une crise profonde. C’est avant tout une politique de diversification économique durable qui fait défaut à ce pays. Il y a certainement aussi beaucoup de corruption. Une politique monétaire faible et peu transparente est à l’origine d’une inflation galopante.

L’armée et l’administration soutiennent le gouvernement de Maduro. Il y a une sorte de conflit de classes au Venezuela où le président est soutenu par la masse des pauvres, l’opposition par la classe moyenne et supérieure, les entreprises, les oligarques et la hiérarchie de l’Eglise. La majorité des médias sont privés et critiques à l’égard de Maduro.

 

©Photo: Jonathan Alvarez C

 

Une initiative astucieuse du Président Maduro

Maduro a été élu Président en 2014. En 2015, les élections au parlement ont été remportées par l’opposition. Pour mettre fin au conflit durable et paralysant entre le Parlement et la Cour Supérieure de Justice, Maduro a pris l’initiative, sur base de l’article 348 de la Constitution, donc en pleine légalité, d’organiser des élections à une Assemblée Constituante. Celles-ci se sont tenues fin juillet de l’année passée. L’opposition a dénoncé une opération « non démocratique ». Elle a décidé de ne pas participer à ces élections et a fait tout pour les bloquer. Mais huit millions de Vénézuéliens sont allés voter. L’article 349 donne à une telle Assemblée les pleins pouvoirs à l’égard du Président et du Parlement. Les Etats-Unis et l’UE ont refusé de reconnaître la légalité de cette Assemblée.

En octobre dernier, des élections régionales ont eu lieu lors desquelles les adhérents de Maduro ont gagné 19 des 23 postes de gouverneurs devenus disponibles. Quelques-uns des partis d’opposition réunis au sein de la « Table de l’Unité Démocratique» (MUD) y ont participé, d’autres pas. Lors des élections municipales de décembre dernier, plus de 90 % des postes de maire ont été remportés par la coalition chaviste. Neuf millions sont allés aux urnes, soit 47 % des personnes habilitées à voter.

D’avril à juillet de 2017, l’opposition avait organisé des marches de protestation dans les districts riches de la capitale. Des combats de rue avec la police ont eu lieu ; 125 personnes y ont perdu la vie. Mais toutes les victimes ne sont pas imputables aux forces de l’ordre. Des milices privées ont pris part à cette action, les soi-disant guarimbas, des groupes violents qui ont monté des barricades et qui ont utilisé des cocktails Molotov et des explosifs. Ils ont attaqué des hôpitaux, des centres de santé, des écoles, des entrepôts de produits alimentaires, des autobus et des bâtiments publics, y ont mis le feu ou les ont détruits. Ils ont tué des militants chavistes. Tout ceci a été passé sous silence par la plupart des médias occidentaux.

 

La menace des Etats-Unis

Ce qui doit le plus préoccuper les défenseurs de la démocratie: comme Obama l’avait déjà fait, Donald Trump a fait déclarer le Venezuela comme étant une menace pour la sécurité des Etats-Unis et a imposé à ce pays des sanctions sévères surtout commerciales et financières. « Nous avons plusieurs options pour le Venezuela y compris militaires », a-t-il déclaré le 11 août dernier. C’est cette option que Rex Tillerson n’a pas exclue dans un discours prononcé le 1er février dernier à l’université du Texas en se prononçant en faveur de la doctrine Monroe en ajoutant : « Si les choses se dégradent au point que le commando militaire arrive au constat qu’ils ne servent plus le peuple (au Venezuela), alors ils sauront arranger (manage) une solution de transition pacifique ». Au cours de son voyage qui a suivi dans plusieurs pays de l’Amérique Latine, il a évoqué la possibilité d’un embargo sur le pétrole contre le Venezuela.

Cette politique des Etats-Unis rappelle le coup d’Etat que le général Pinochet a mené le 11 septembre 1973 contre le Président Allende, démocratiquement élu, avec l’appui secret des Etats-Unis et de la CIA. Les Etats-Unis avaient de même encouragé le coup d’Etat de 2002 contre Hugo Chavez qui avait échoué. L’année passée, l’UE a décrété un embargo sur les armes contre le Venezuela. Elle a aussi mis une série d’hommes politiques du Venezuela sur une liste noire. Une alliance de gouvernements latino-américains fait front contre Maduro, emmenés par les présidents Santos de Colombie, Macri d’Argentine et Temer du Brésil qui tous défendent une politique clairement néo-libérale.

Alfredo de Zayas, expert indépendant de l’ONU pour la promotion d‘un ordre démocratique et équitable, a passé une semaine au Venezuela fin novembre dernier. Dans un entretien avec la publication suisse Zeitgeschehen im Fokus, il a déclaré qu’il a pu se déplacer partout librement, qu’il n’a vu nulle part des enfants de la rue, ni même des mendiants. Il a vu ici ou là des files de personnes attendant la vente de certains produits. Mais, les gens étaient de bonne humeur, il n’a pas remarqué une inquiétude comme la presse ne cesse de l’affirmer.

 

Demande de l’ONU : mettre fin à la campagne de désinformation et aux sanctions

Pour lui, le Venezuela est un modèle social qui veut arriver à une distribution plus juste de la richesse dans le pays. Entre-temps, deux millions de logements ont été attribués à la population pauvre. Ainsi huit millions de personnes ont pu avoir accès à une maison abordable. Il y a également le soi-disant système des CLAP (Comité local de Abastecimiento y Producción– comité local d’approvisionnement et de production-) par lequel le gouvernement fait distribuer aux pauvres des paquets de vivres comprenant vingt-huit produits différents. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de « famine » au Venezuela, quoiqu’en disent les médias. Malheureusement, des pénuries existent dans plusieurs secteurs et il est difficile de se procurer certains produits. Il y a surtout des problèmes pour la distribution à temps des produits importés – mais ceci relève essentiellement de la responsabilité du secteur privé, qui boycotte assez souvent la distribution et garde parfois les produits dans de grands entrepôts pour ne pas les livrer aux supermarchés mais au marché noir afin d’en tirer de plus grands profits.

Pour Alfredo de Zayas il n’existe pas de « crise humanitaire » au Venezuela. Il met en garde devant l’usage d’une telle crise qui serait facile à instrumentaliser pour justifier une soi-disant « intervention humanitaire» ou pour viser un changement de régime (« regime change ») au besoin avec un appui militaire et sous prétexte que le gouvernement laisse la population mourir de faim.

Bien des indicateurs donnent à croire qu’au Venezuela une pénurie est provoquée délibérément par l’opposition afin de susciter le mécontentement de la population à l’égard du gouvernement. Il est vrai qu’il existe des problèmes d’approvisionnement comme pour les médicaments. Mais les raisons de cette situation ne sont expliquées nulle part. Il n’est dit nulle part que le secteur privé dispose des devises pour importer les médicaments nécessaires. Il n’est pas dit non plus qu’une gigantesque contrebande s’est développée pour les produits subventionnés – ainsi on peut acheter à Bogota de la farine ou du riz vénézuéliens subventionnés.

De Zayas demande de mettre fin aux sanctions. Il dénonce la campagne de désinformation. Il faut être allé sur place, dit-il, pour voir que ce n’est pas comme on le lit dans le New York Times. Cette désinformation sur le Venezuela existe également en Europe. Les médias en France se distinguent également par une couverture très unilatérale sur le Venezuela. « L’Europe doit isoler Maduro » était le titre d’un appel dans le journal Le Monde. Thierry Deronne, un journaliste belge, qui travaille au Venezuela pour des médias publics alternatifs, a écrit en août dernier : « Je vis depuis 23 ans au Venezuela et jamais je n’ai observé un tel délire, un tel déni de réalité sur le Venezuela. 99 % de propagande martelée tous les jours par 99% des médias ont eu raison de l’esprit critique de 99% des citoyens occidentaux ».

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