Faut-il applaudir ce président de droite qui mène à bien ce que la gauche a été incapable de faire ?
Quand l’histoire s’écrit sous nos yeux, difficile de bien identifier les forces à l’œuvre, impossible de savoir à quoi les processus en cours aboutiront. Et pourtant, il faut analyser, se projeter, choisir éventuellement un camp. La guerre commerciale déclenchée par le président Donald Trump est là pour nous le rappeler. Même si, aux dernières nouvelles, un accord va être négocié entre les États-Unis et la Chine, la question de l’avenir de la mondialisation libérale reste posée.
Théorisée par des économistes néolibéraux, mise en pratique à partir des années 1980 par des gouvernements de droite libérale, puis par la Commission européenne, cette mondialisation a fait le profit des uns et les difficultés des autres pendant 40 ans. Ce sont ces difficultés, ayant aussi impacté la classe ouvrière américaine, qui ont nourri le vote populaire en faveur de Trump. Quel que soit le résultat du coup de boutoir du président américain, le défi des déséquilibres économiques par rapport aux pays émergents poussera les élites du Nord global à défaire une mondialisation qui, depuis un bon moment, ne leur est plus favorable. S’y sont ajoutées les expériences d’une dépendance jugée dangereuse, avec la crise du Covid, la guerre en Ukraine, et les récentes mesures de rétorsion chinoises.
Et c’est Trump, haï dans le camp progressiste, qui a été l’accélérateur de cette démondialisation, alors que les discours anti- et altermondialistes étaient le propre de la gauche radicale depuis les années 1990. Faut-il alors applaudir, fût-ce secrètement, le président américain de droite en train de mener à bien ce que la gauche a été incapable de faire ?
De l’autre côté de l’Atlantique, cette question se pose de manière très concrète : plusieurs syndicats américains ont apporté leur soutien au protectionnisme exacerbé de Trump, comme le relève l’article « Un autre protectionnisme est toujours possible » paru dans Le Monde diplomatique de mai. Comme le suggère le titre, cet article prend ses distances avec la version trumpienne, « nationaliste et impérialiste », du protectionnisme, mais également avec des discours qui, au vu des dégâts engendrés, appellent à sauver la mondialisation et le libre-échange.
Plutôt que de se rallier à Trump, le Diplo propose donc de se battre pour un « autre protectionnisme », au service d’une relocalisation massive, rendue nécessaire par la crise écologique. Cette attitude, assez cohérente, s’impose-t-elle aux mouvements critiquant la mondialisation libérale pour les injustices et les dégâts environnementaux qu’elle engendre ?
Hélas, le discours sur la relocalisation sera d’autant plus populaire qu’il mettra l’accent sur un simple repli sur soi, plutôt que sur une ambitieuse solidarité internationale. Le danger de cet « autre protectionnisme » est qu’il privilégie la résolution des problèmes locaux, et rejette vers l’extérieur les problèmes planétaires – en faisant valoir que ces derniers sont largement la conséquence de 40 ans de mondialisation libérale.
Or, dans le monde tel qu’il est aujourd’hui, les politiques climatiques internationales, les transferts financiers du Nord vers le Sud, et l’accueil des flux migratoires sont indispensables. Plutôt que d’un découplage économique et politique généralisé entre pays et régions, l’humanité aurait besoin de repenser les relations commerciales et humaines internationales. À la folie protectionniste et impérialiste de Trump, il convient d’opposer à la fois un « autre protectionnisme », au service de la justice sociale, et une « autre mondialisation », au service d’une résolution juste de la polycrise planétaire.